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Episode 2/6: L’arbitre de touche avait tout vu
Charles Corver, l’arbitre néerlandais, a suivi le ballon des yeux. Et même aperçu Harald Schumacher revenir en marchant pour récupérer la balle, sans un regard pour sa victime. Tout Sanchez-Pizjuan hurle. Le banc de touche français se lève d’un bond. Les voisins allemands aussi. Le drapeau du très discret juge de touche, M. Geller, également. Personne ne lui prête attention tant l’émotion est vive. Au sol, Patrick Battiston ne bouge plus.
C’est la confusion autour du blessé. A l’écart, deux hommes campent sur leur position. Harald Schumacher a le ballon dans les mains, près de son poteau. Sans dire un mot, il attend. Sur la ligne de touche, M. Geller a toujours son drapeau en main. Prêt à tout dire, il attend. C’est vers lui que Charles Corver, poussé par les Bleus et retenus par les Blancs, se dirige maintenant après avoir fait signe au médecin français. Malgré le vacarme assourdissant du stade, M. Corver comprend très bien ce que lui raconte son assistant. Il bouge la tête, pointe le doigt. Et finit par poser la main sur l’épaule de son juge de touche. Il revient vers le terrain et oblique vers le but allemand où Harald Schumacher passe toujours inlassablement le ballon d’une main dans l’autre. Ses coéquipiers comprennent déjà qu’il risque bientôt de ne plus le toucher. Ils accourent. Trop tard. M. Corver brandit le carton rouge au gardien. Il l’expulse pour cette agression délibérée. La sentence est tombée. Sanchez-Pizjuan était une étuve. Il devient un volcan.
Depuis trois minutes, Patrick Battiston, accompagné par Michel Platini qui lui tient la main, a quitté le terrain sur une civière. Dans le coma. Il faut presque autant de temps pour pousser vers la sortie d’Harald Schumacher et ramener le calme sur la pelouse. Bernd Franke et son maillot jaune, 34 ans, gardien remplaçant de la Mannschaft et de la modeste équipe de l’Eintracht Brunswick, entre en scène et dans l’histoire quand Jupp Derwall, son sélectionneur, lui fait signe. Pas le temps de réfléchir. Il croise Pierre Littbarski, le buteur, victime collatérale du bazar dans lequel Harald Schumacher a plongé son équipe et ce match, qui doit lui laisser sa place au nom de la réorganisation tactique.
Après presque 7 minutes d’arrêts de jeu, le match reprend pour une grosse demi-heure. Mais, le duel a changé et on s’observe de part et d’autre jusqu’à ce que M. Corver siffle la fin du match. Sans nouveau but. Il reste à vivre une prolongation et ses deux mi-temps étouffantes de 15 minutes.
La suite est faite pour remplir les pages des livres de l’histoire du sport. Marius Trésor (93e) et Alain Giresse (100e) marquent. Franke n’y peut rien. La France mène 3-1. Seul Patrick Battiston, emmené inconscient à la clinique ne le sait pas. Il a 3 dents cassées. Dans le vestiaire allemand, Harald Schumacher, n’a pas encore pris sa douche. A peine calmé, tête dans les mains, il devine le score en écoutant le bruit. Catastrophique.
Sur la pelouse de Sanchez-Pizjuan, c’est bien plus qu’une question d’honneur pour les dix allemands qui restent encore debout face à la furia française. Il faut se révolter, ils vont se révolter. Rummenigge (103e), entré en jeu dans cette prolongation alors qu’il est blessé, marque. Puis Fischer égalise (110e). Wunderbar! Depuis 1970, et une autre demi-finale épique entre Italiens et Allemands à Mexico (4-3), la Coupe du monde n’a plus connu pareil suspense…
Rendez-vous demain 6 avril pour la suite de cette histoire