La France a-t-elle un problème avec ses supporters ? À quinze mois de l’Euro 2016 en France, les supporters tirent la sonnette d’alarme. Souvent considérés comme des éléments perturbateurs du football français, les ultras sont agacés d’être mis sur la touche.
Le 11 Février dernier ont lieu les 2èmes Assises du Supportérisme à Paris, organisées par le Conseil National des Supporters de Football (CNSF). Malgré une invitation envoyée aux instances nationales du Football (Union des Clubs Professionnels du Football, Fédération Française de Football, Ligue de Football Professionnel), aucune n’a fait le déplacement au Palais du Luxembourg. Un dénigrement pointé du doigt par Thierry Braillard Secrétaire d’État au Sport: « Je me sens bien parmi vous. Je n’ai pas devant moi une horde de sauvages. Je regrette que les instances du football ne soient pas là … », a-t-il indiqué en ouverture de ce rendez-vous.
Un État des lieux s’impose.
Deux jeunes organisations de supporters sont apparues dans le paysage footballistique français : le CNSF et l’Association Nationale des Supporters (ANS). Créées respectivement en Avril et Septembre 2014, ces deux entités sont « complémentaires » rappelle Pierre Revillon, Président de l’ANS et membre actif des Red Tigers de Lens. « L’ANS défend plusieurs choses : les conditions de déplacements des supporters à l’extérieur, les interdictions de déplacements, les Huis-clos, … tous les problèmes que peuvent rencontrer les Ultras aujourd’hui. On veut fédérer un maximum de groupes de supporters autour de notre cause ». En échos, Florian Le Teuff, Président d’A la Nantaise et administrateur du CNSF, explique : « Le CNSF défend l’actionnariat populaire et la représentativité des supporters au sein des instances. On veut faire d’eux des acteurs majeurs du Football. Nous avons un droit de regard sur les décisions des Conseils d’Administration des Clubs ». L’Union des Associations Européennes de Football (UEFA) par l’intermédiaire de William Gaillard, Conseiller Spécial du Président Michel Platini, lors des premières Assises du Supportérisme en Avril 2014, a déploré que la France fasse partie des trois pays qui n’ont pas adopté le modèle européen ; seuls l’Azerbaïdjan et la Moldavie sont dans le même cas. Pour rappel, en Juillet 2010 a été votée la loi « Supporter Liaison Officiers » (SLO). Les clubs, demandeurs d’une licence européenne, doivent élire un officier de liaison pour « assurer un dialogue adéquat et constructif entre clubs et supporters ». Les équipes professionnelles peuvent donc à terme encourir des sanctions financières, en cas de non-respect de cette loi.
Un dialogue inexistant.
Tous les supporters se rejoignent sur un point : le dialogue avec les Instances est proche du « néant. » Florian Le Teuff s’explique : « en Juillet 2014, la LFP se montrait ouverte quant à une possible rencontre avec les supporters. En Novembre, on nous annonçait au final que la Ligue ne viendrait pas aux Assises. Même cas de de figure avec l’UCPF. On assiste ici à un double dialogue de leur part ». Un double jeu mis en avant par Jean-Pierre Clavier, cofondateur du CNSF. Le 5 Février dernier dans sa lettre ouverte au Président de la LFP dans le Nouvel Observateur, il s’interroge de la non-participation de la Ligue aux dernières Assises : « Comment interpréter votre mutisme ?» Tandis que Monsieur Frédéric Thiriez (Président de la LFP) affirmait quelques temps après la première Assise en Avril 2014 : “Les supporters font partie de la grande famille du football. Je suis favorable à l’intégration d’une représentation organisée des supporters dans le Conseil d’Administration de la LFP. Je souhaite pérenniser les conditions du dialogue avec vous.” Quid de la FFF ? Monsieur Le Teuff reprend : « Pour la Fédération, dès le départ, Monsieur Noël Le Graët (Président de la FFF) n’était pas disposé à discuter avec les supporters. Cela ne l’intéressait pas ».
En Novembre dernier les ultras ont tenté une approche directe. Le Collectif SOS Ligue 2, composé de membres de l’ANS, a rencontré Frédéric Thiriez pour traiter des horaires en seconde division. L’occasion pour Romain Gaudin, Porte-Parole de la Brigade Loire et Vice-Président de l’ANS, de s’entretenir directement avec son homologue de la Ligue. Il raconte : « Nous nous sommes déplacés pour régler le souci des horaires de Ligue 2 qui dérange bon nombre de supporters. Juste après notre entrevue, j’ai réussi à glisser quelques mots au Président Thiriez sur une future collaboration avec les supporters. Il semblait intéressé et même prêt à prendre rendez-vous pour aborder les problèmes actuels. Je n’ai toujours pas eu de réponse à ce jour ».
Les Instances se défendent
Comment expliquer le comportement des Hautes Instances du Football Français ? Après avoir contacté la LFP et la FFF, seule l’UCPF, par le biais de son Service Presse a bien voulu nous répondre. Pour eux il y a deux grands points importants à régler avant un possible dialogue : « Certes nous ne nous sommes pas déplacés lors des Assises du Supportérisme, cependant nous sommes disposés au débat. Mais deux points sont à régler avant de se mettre autour d’une table. Premier point : la représentativité des clubs. Le CNSF nous propose de venir, mais nous avons l’impression que c’est le CNSF d’A la Nantaise. Il manque les plus grands groupes de supporters français tels que Marseille ou Saint-Etienne. Deuxième point : la question de la Sécurité dans les stades. À chaque fois que nous tentons de parler de ce sujet on nous rétorque que ce sont les Ultras à qui il faut s’adresser. Pour ces deux raisons, un dialogue durable, pour l’instant, est impossible ».
Quelles solutions à ce problème ?
L’ANS propose des solutions pour régler les problèmes de sécurité. Tout d’abord, la mise en place d’une chartre sur les objets interdits dans les stades, affichée aux entrées. Ensuite, la participation d’un représentant aux réunions de sécurité, auxquelles ne participent pas les groupes de supporters. Pierre Revillon détaille : « Notre but ici n’est pas d’imposer notre point de vue, mais partager notre expérience du terrain pour que les déplacements de supporters, et les matchs en général, se passent au mieux. ». «Tout le monde connaît une répression chez les supporters», avoue Romain Gaudin. « Des clubs connaissent des situations désastreuses aussi bien sportivement qu’administrativement. Je pense notamment à Toulon qui a lourdement chuté. Le club vit encore, et notamment grâce à ses afficionados».
Le CNSF lui propose une représentation des supporters dans les organes décisionnaires, ainsi que l’utilisation de 0.01 % des droits télévisuels dans le but « de créer un cadre de dialogue durable » entre les deux partis. Un manifeste est accessible à tous et regroupe les différentes propositions avancées par le CNSF. Une proposition de loi pour la représentativité dans les instances, élaborée avec plusieurs politiciens lors des deuxièmes Assises dont Marie-Georges Buffet et Nicolas Dupont-Aigan, est également à l’étude. « Une question de semaines » selon Florian Le Teuff. Près de 9000 supporters ont apporté leur signature à l’heure actuelle.
Être Ultra aujourd’hui.
Pour illustrer les problèmes de répression que connaissent les Ultras de nos jours, Bertrand Chauty Vice-Président d’Activ’ Nantes Support nous explique le déroulement d’un déplacement à Lille : «Le déplacement là-bas est le plus strict en terme de mesures. Les visiteurs achètent une contremarque qu’ils doivent remettre à la Police, pour récupérer un billet. Le rendez-vous se fait généralement sur une aire d’autoroute près de Lille. Après s’être assuré des identités, les forces de l’ordre accompagnent les supporters au parking souterrain du stade. De là, nous devons attendre un bon moment avant de pouvoir accéder à la tribune visiteuse. Interdiction de manger, de boire et de sortir des véhicules. Les fouilles sont régulières. Il est donc impossible pour nous de se déplacer, sans suivre ces règles. Les supporters ne peuvent pas se rendre à Lille librement. »
Une étiquette de « sauvage ».
À la suite des violences lors du match Paris Saint-Germain-Caen en Août 1993, qui avait causé la mort d’un policier et plusieurs blessés, les ultras sont souvent mal appréciés du grand public. « Il est vrai que certaines images nous collent à la peau. » Reconnaît Pierre Revillon. « On tente de s’en défaire. Le Noël des enfants a été créé il y a dix ans par les Red Tigers de Lens dans le but de récolter des jouets pour les enfants malades. Une initiative qui va à l’encontre des idées reçues. » Pour rappel le Kop Rouge 93, groupe d’ultras de Guingamp, avait reversé 45 000 euros à différentes associations des Côtes-d’Armor après avoir remporté le titre honorifique de « meilleur public de France. » Récompense remise par la LFP en Mai 2014.
Un Euro 2016 qui inquiète.
Toutes les personnes précédemment interrogées se montrent « pessimistes » pour l’Euro 2016. Pour Bertrand Chauty : « on va bien rigoler. En France, organiser un déplacement de 800 personnes est extrêmement compliqué. Alors lorsque les russes, polonais, anglais, allemands et autres vont venir sur le territoire le risque de débordements va être élevé. On attend de voir cela. »
Le ras-le-bol des supporters français se fait ressentir de plus en plus. À l’image de la vidéo diffusée par la Brigade Loire, le 8 Avril dernier, dans une mise en scène cagoulée, les représentants de la « BL » tentent une approche coup de poing. Le but : prouver que les ultras en France ont mauvaise réputation. Pour eux, le dialogue est plus que nécessaire. Considérés comme du « bétail », ils ne comptent pas accepter les mesures du déplacement à Saint-Étienne le 12 Avril 2015 . Après avoir ciré le banc de touche, ces derniers veulent désormais rentrer sur le terrain. Les « terroristes » des stades ne comptent pas se taire de si tôt.
Le message de la Brigade Loire pour le déplacement à Saint-Étienne:
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